C’est un fait, avec 6,4 millions de voix, Marine Le Pen vient
d’obtenir presque 18% des suffrages exprimés au premier tour de
l’élection présidentielle. Mais cela ne justifie pas qu’elle occupe le
centre des commentaires de la vie politique ni que l’on victimise ses
électeurs comme beaucoup s’y emploient depuis quelques jours.
D’abord, ce score n’est pas le «coup de tonnerre» que certains prétendent, montrant qu’ils ont la mémoire courte. Jean-Marie Le Pen avait fait 14% à l’élection présidentielle de 1988, 15% en 1995 et presque 17% en 2002 avec 4,8 millions d’électeurs, arrivant en deuxième position du scrutin un certain 21 avril (et augmentant encore son score au second tour avec près de 18% des suffrages exprimés et 5,5 millions d’électeurs). De ce point de vue, 2007 apparaît comme une exception et 2012 comme la suite d’une dynamique enclenchée depuis le milieu des années 80. Progression certes, mais certainement pas coup de tonnerre.
Ensuite, s’il est évident que la stratégie électorale de Marine Le
Pen a consisté à tenter de «dédiaboliser» son parti, nous ne sommes pas
obligés de faire nôtre cette stratégie ! Faut-il rappeler que, le
27 janvier, la présidente du FN était invitée à Vienne par le FPÖ, le
parti autrichien d’extrême droite, qu’elle y a rencontré le théoricien
néonazi Martin Graf et qu’elle y a participé au bal des corporations
pangermanistes à la table du leader du FPÖ, Heinz-Christian Strache ? On
conseillera à ceux qui ont la mémoire courte de lire le livre de Claire
Checcaglini, Bienvenue au Front. Journal d’une infiltrée. Pour
faire ce livre, la journaliste a intégré anonymement la fédération des
Hauts-de-Seine du Front national pour voir comment fonctionnait ce
parti. Elle montre que la xénophobie et l’islamophobie sont le ciment du
militantisme FN, et que le racisme et l’antisémitisme n’y ont jamais
totalement disparu. Alors, de grâce, ne tombons pas dans le panneau ! La
façade a été repeinte, mais à l’intérieur le FN reste le FN. On
comprend que l’héritage idéologique soit encombrant (le pétainisme,
l’Algérie française…) et il est probable qu’une partie des électeurs
l’ignore, mais il est toujours présent dans le parti politique.
Enfin, il n’y a aucune raison de victimiser les électeurs du FN pour
mieux justifier de les courtiser. Ce discours dominant dans l’espace
politico-médiatique de ces derniers jours est insupportable. Les
électeurs du FN n’ont pas le monopole de la souffrance ! Ce n’est pas
chez les chômeurs que Marine Le Pen a fait ses plus gros scores mais
chez les ouvriers et les artisans commerçants. Et quand bien même elle
fait 30% chez les ouvriers, 70% de ces derniers n’ont donc pas voté pour
elle. La crise ne justifie pas que l’on devienne raciste, pas plus que
le fait d’avoir été victime d’un acte de délinquance. Il faut au
contraire combattre résolument ce genre d’amalgames et de
pseudo-explications. Combattre sans répit et avec la plus grande
détermination la stratégie du bouc émissaire qui est celle de l’extrême
droite depuis la fin du XIXe siècle. C’était autrefois la
faute aux «métèques» italiens ou polonais, c’est aujourd’hui la faute
«aux Arabes et aux Noirs». Le fond du discours n’a jamais changé.
Pour conclure, il faut également dire et redire que si le discours du
FN se banalise, c’est aussi parce qu’il a été servi avec une
remarquable constance par celui de l’UMP et tout particulièrement par
Nicolas Sarkozy et son entourage. Qui a fustigé l’islam sans relâche,
faisant voter des lois sur le voile et la burqa ? Qui a lancé le
prétendu «grand débat» sur l’identité nationale, ayant surtout servi
d’exutoire à l’islamophobie ? Qui nous a expliqué sans cesse, depuis un
certain discours de Grenoble en juillet 2010, qu’il y avait un problème
majeur en France avec la «délinquance des Roumains» ? Qui est revenu de Marseille en expliquant qu’il y avait un problème particulier de violence avec l’«immigration comorienne» ?Qui nous a expliqué que «toutes les civilisations ne se valent pas» ?
On en passe et des meilleurs. Comment imaginer que ce véritable
matraquage n’est pour rien dans la peur et le rejet qui s’expriment à
travers un vote FN qui atteint ses plus hauts niveaux dans des villages
et des petites villes où l’on ne croise quasiment aucun «immigré» ni
aucune femme portant un voile ? Nicolas Sarkozy et son entourage portent
une responsabilité majeure dans la réussite au moins partielle de la
stratégie de dédiabolisation du FN. Face aux adeptes du bouc émissaire
immigré musulman, tous les humanistes et tous les progressistes doivent
s’unir pour dénoncer ces conceptions régressives de la nation et de la
citoyenneté françaises, pour pourfendre l’hypocrisie de ces discours
soi-disant devenus respectables et pour marteler que c’est d’abord et
avant tout dans les mécanismes d’exclusion économique, sociale et
scolaire que se trouvent les racines des principaux problèmes de la
société française.
Dernier livre paru : «Vous avez dit sécurité ?», Champ social.
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